dimanche 2 septembre 2007

La Petite Verte, les fils de la filiation

C'est la fonction même d'Internet que de suivre les liens. C'est de liens filiaux qu'il s'agira ici, à l'occasion de l'évocation d'une ascension de la Petite Aiguille Verte, le 13 août dernier.

Tout avait commencé – selon la formule préférée des auteurs de romans policiers – tout avait donc commencé le dimanche 12 août.

Montant avec Sabine au point de vue du glacier d'Argentière, nous avions fait étape au refuge de Lognan, tenu par "Clo", qui reçoit toujours ses clients avec une grande gentillesse et les régale de ses plats délicieux. Un grand moment de convivialité, à proximité des séracs impressionnants du glacier.

Ci-dessus : la terrasse du refuge, où nous ne saurions trop vous recommander de vous rendre afin de passer un excellent moment esthétique et gastronomique ! On y accède aisément en une demi-heure depuis la station du téléphérique de Lognan (ou en deux heures depuis Argentière à pied).

C'est là que Sabine avait eu une inspiration : et si nous retournions à la Petite Aiguille Verte ?


La "petite" aiguille Verte (3512 m) est la fille de la "grande" aiguille Verte (4122 m). Alors que cette dernière est à la fois l'un des sommets les plus difficiles d'accès et les plus beaux de la chaîne du Mont-Blanc, la "petite" est au contraire la course d'initiation la plus accessible du massif, tout en étant particulièrement jolie. De la neige, de la glace et un peu de roc pour reprendre la formule de Rébuffat…

Un sommet symbolique
Il se trouve que l'ascension de la Petite Verte fut l'une de nos premières incursions en haute montagne, tant pour Sabine que pour moi. Ce fut aussi la dernière course que je fis avec mon père, en 1986, peu avant sa disparition. Y retourner était donc un hommage à la filiation. Et le hasard allait se charger d'illustrer avec bonheur ce thème magnifique…

Le tour de rôle du hasard
J'ai déjà expliqué dans l'article sur la pointe Lachenal en quoi consiste le tour de rôle au bureau des guides. Le hasard y joue un… rôle essentiel, par construction. Dimanche 12 au soir, toujours au café Le Dahu, nous rencontrons notre guide, Jean-Claude Charlet. Les présentations faites, le voici qui semble marcher sur des œufs :
– J'aurais une demande à vous faire…
– Allez-y ! répondons-nous, intéressés.
– Voilà, est-ce qu'il serait possible que mon fils nous accompagne ?
Nous acceptons avec enthousiasme, émus de constater que le destin nous envoyait de la sorte un premier clin d'œil sur le thème père/fils.
Les réflexes professionnels reprenant le dessus, Jean-Claude se renseigne alors brièvement :
– Avez-vous marché un peu depuis votre arrivée de Lyon ?
– Eh bien nous sommes montés hier au point de vue du glacier, depuis le bas…
– Ah ! J'espère que vous avez mangé au refuge de Lognan, alors ?
– Bien sûr ! On ne manque pas une occasion de le faire !
– Tant mieux, car il est tenu par mon ex-épouse.
Seconde coïncidence ! Et nouveau clin d'œil sur la famille, comme si une transmission de pensée avait eu lieu la veille…


Ci-dessus : le père (Jean-Claude) et le fils (Christophe) au sommet de la Petite Verte

Malgré une météo pour le moins capricieuse, la montée à la Petite Verte, le lendemain, se déroule agréablement. Nous sommes donc quatre, guidés par Jean-Claude. Sabine est en deuxième, votre serviteur en troisième, suivi de Christophe, 17 ans, fils du guide. La cadence a été soutenue puisqu'en une heure nous étions au sommet, bénéficiant des lieux pour nous seuls.

Après la poignée de mains et les congratulations d'usage, qui revêtent toujours une émotion palpable en haute montagne, nous discutons tout en observant le panorama.
À droite plonge l'abîme du versant Nant-Blanc de l'aiguille Verte, sévère et glacé.

Ci-contre : Sabine et Jean-Luc au sommet de la Petite Verte, sur fond de "grande" Verte, le 13 août 2007.


Incidemment, Jean-Claude précise :
– C'est mon père, le premier, qui avait gravi ce versant…
– Tu es donc le fils d'Armand Charlet !?

Précisons qu'Armand Charlet fut le plus grand guide de sa génération.
Natif d'Argentière (1900), il vouait un véritable culte à l'aiguille Verte, qui domine le village, au point de la gravir 100 fois exactement dans sa vie, et d'y ouvrir un grand nombre d'itinéraires nouveaux. Professeur à l'école de Haute Montagne, qui forme les guides, il fut un "maître" respecté. On comprend dès lors que cette nouvelle coïncidence, encore une fois sur le thème père/fils, nous touche à sa juste mesure. En 1886, ce furent, déjà, des Charlet qui avaient été les premiers à gravir la Petite Verte. En outre, Armand Charlet en fit la première hivernale en 1927, et y emmena son fils alors qu'il n'avait que 12 ans…
Ci-dessus : couverture du livre que lui consacra son client anglais Douglas Busk, qui figure dans ma bibliothèque depuis… 1979.

Snowboard
Avant de franchir la rimaye, la cordée s'arrête. Car Jean-Claude, qui voulait emmener son fils découvrir un parcours de montagne, avait prévu une "carotte" pour le moins "cool" : Christophe, snowboarder de haut niveau malgré son jeune âge, allait descendre sur sa planche de surf toute la pente, de l'arête jusqu'au col des Grands Montets. Il ne lui faudra que quelques virages élégants pour ce faire d'ailleurs…

Ci-dessus : pas facile d'appuyer sur le déclencheur quand le fils file !

Fête des Guides
Le surlendemain avait lieu la traditionnelle fête des Guides. Outre que Jean-Claude y prononça un discours bien senti sur le métier de guide (*), son autre fils, Zian, allait être admis au sein de la prestigieuse Compagnie et être "appelé" pour la première fois sur le parvis, cérémonie à laquelle assistèrent le père et la mère. Encore la filiation !
Vous trouverez des photos de la Fête des Guides sur le site d'Hervé Thivierge dans sa page 2007.

(*) Une phrase du discours que je trouve très juste :
« Les guides d’Argentière, jeunes et moins jeunes, souhaitent continuer à défendre l’image d’une montagne qui n’est pas un produit que l’on monnaye, mais où l’amitié, la beauté et fidélité qui naissent au sein des cordées construisent des relations solides au fil du temps, où chacun se ressource. » Je me permets de la dédier à Gilbert et Fernand Pareau (le fils et le père), avec qui j'ai réalisé tant de belles courses.

La voix des Papas
Enfin, last but not least (j'adore cette expression anglaise signifiant : le dernier et non des moindres), le lendemain, alors que nous arrivions avec Sabine au lieu-dit les Mottets, au pied des Drus, un spectacle magnifique nous attendait. Le soleil, caché par la masse de l'Aiguille Verte et des Drus, choisit exactement la seconde de notre arrivée pour émerger juste à droite du sommet de cette montagne monumentale – à l'endroit même où sort l'itinéraire ouvert par deux guides cet hiver (dont j'ai parlé dans ce blog).

Comment s'appelle cette voie ? Je vous le donne en mille : La voie des Papas.